J’entre et je sors de moi-même souvent,
Je me demande audience parfois,
Je me rencontre en de noirs corridors,
Je fais semblant de ne pas me surprendre
Ou je m’ignore.
Un long sanglot nocturne
Brise un miroir. On voyage on voyage
Et l’on se quitte, on joue à cache-cache,
Mon corps et moi, mariés de l’aurore.
Suis-je sans être ? Et rêver n’est-il vivre
Hors de soi-même, hors les murs, hors le doute,
Là où le corps ne va pas, car il pèse
Plus que le bronze et le plomb des pensées.
Et je m’en vais sur des lieux de musique
Pour oublier mon sol de résidence :
Ce corps épais où j’entre et sors, et j’ose
Me résigner à demeurer sans ailes.
— Entrez chez moi, j’ai pour vous mille chambres
Et des salons, et des orangeraies...
Mais nul ne vient, le seul hôte est moi-même
Dans ma maison bien trop vaste pour moi.
Robert Sabatier, « L’éternité sera bien assez longue », Œuvres poétiques complètes, Albin Michel, Paris, 2005.